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KOCHIPAN

Un autre regard sur l'Asie orientale


Interview : Motoki Noguchi

Publié par Kochipan sur 24 Janvier 2013, 08:00am

Catégories : #Interviews

Noguchi-Motoki.JPG Originaire du Japon, Motoki Noguchi est un grand joueur de Go mais également un acteur incontournable pour la diffusion de ce jeu en France que ce soit à travers la Fédération française de Go ou bien encore la rédaction d'ouvrages d'inititation à cet art ludique. Il répond aujourd'hui aux questions de Kochipan !

 

Comment vos pas vous ont-ils conduit du Japon vers la France ?

 

C’était dû au hasard. En 2000, après avoir fini mes études universitaires, j’ai décidé de venir en France pour apprendre le français. J’ai choisi la France puisque j’avais appris un peu le français à l’université et je ne voulais pas aller dans un pays anglophone. Si j’avais appris le russe, je serais allé en Russie. Au départ, je ne savais pas combien de temps je resterais en France. Finalement, je suis toujours là au bout de 12 ans, à cause du ou grâce au charme de ce pays et au jeu de go.

 

Comment votre voyage dans l'univers du Go a-t-il commencé ?

 

Nous avions chez nous un goban (plateau de go) qui appartenait à mon père. Il m’avait initié au go quand j’avais 4 ans, mais je n’ai pas du tout aimé ce jeu à cette époque-là et j’utilisais le plateau comme ma table de dessin pendant longtemps : un véritable sacrilège ! Mais un jour vers l’âge de 9 ans, je me suis soudain dit, je ne sais absolument pas pourquoi, : « pourquoi ne pas me servir de ce plateau pour son propre usage ? », Ce fut le début d’une longue histoire.

 

J’ai participé à beaucoup de compétitions par équipes quand j’étais à l’université de Tôkyô et c’est là-bas où j’ai progressé et atteint le niveau actuel. Nous avons gagné le titre national en 1999.

 

La rencontre avec le go français était, encore une fois, dû au hasard. Quand je suis venu en France, je ne comptais pas jouer au go et je ne savais même pas qu’il existait des joueurs. J’ai passé un an et demi sans aucun contact avec le go. A cette époque, j’habitais à Besançon. Un jour, alors que je naviguais sur internet, je suis tombé sur la publicité d’un grand tournoi parisien et puisque ça commençait à me démanger, j’ai décidé d’y participer. Cependant, après un an et demi de pause, mes résultats ont été assez lamentables et j’ai failli arrêter complètement le jeu, quand un joueur bisontin m’a contacté et m’a invité au club qui se trouvait en fait à deux pas de chez moi. J’ai reçu un accueil convivial et sympathique. Depuis, je n’ai jamais quitté le milieu de go français.

 

Qu'est ce qui fait la spécificité du Go par rapport à d'autres types de jeux de réflexion comme les échecs ?

 

Je ne connais pas assez d’autres jeux pour le dire précisément, mais je peux citer plusieurs caractéristiques du jeu de go :

  1. L’immensité du plateau qui comporte 19 lignes sur 19 avec 361 intersections.

  2. La simplicité de la règle de base : il suffit d’apprendre à capturer une pierre adverse pour savoir jouer au go (bien sûr, cela ne permet pas de « bien jouer » : c’est autre chose). Toutes les autres règles sont corollaires à cette première règle.

  3. C’est un jeu où l’on remplit le plateau au lieu de le vider, malgré la règle de capture qui laisse supposer le contraire. Les deux joueurs se battent pour cohabiter sur le goban. Le vainqueur est celui dispose à la fin de plus de survivants que l’adversaire... ou, celui qui a un plus grand espace pour pouvoir placer les survivants. On l’appelle communément le « territoire ».

  4. La richesse tactique et stratégique : au go, la lecture profonde des séquences locale est aussi importante que l’évaluation globale de la situation. Ces éléments existent dans d’autres jeux bien sûr, mais vous pouvez imaginer que cela n’est pas si évident avec la grande taille de plateau. Il arrive très souvent qu’on gagne dans un combat local pour perdre dans la globalité.

 

Vous avez sorti deux ouvrages didactiques sur le Jeu de Go. Quelle a été votre approche pour transmettre votre propre savoir ?

 

Le go a évolué pendant 4000 ans en Asie : par conséquent, sa pédagogie a également une très longue histoire. Quand j’ai commencé à rédiger, avec un français assez hasardeux, le premier livre pours les débutants, ( « le langage des pierres ») mon idée était « comment transférer l’enseignement asiatique en français ? » Cependant, je me suis rendu assez rapidement compte que cela ne marchait pas du tout : les Français ont leur propre façon d’apprendre et d’appréhender les choses. Dès lors, mon objectif a changé. Aujourd’hui, je pense à « comment enseigner de façon à ce que les Français comprennent le mieux le go ». Quant au deuxième livre, « Tsumego », j’ai tenté d’être exhaustif sur le sujet en 544 pages, même si c’est impossible. D’une part, on n’a pas le loisir de publier beaucoup de livres de go en français, d’autre part, je voulais montrer la « folie » de ce jeu de stratégie par excellence.

goban.JPG

 

Quel rôle joue la Fédération française de Go en France ?

 

Elle a plusieurs rôles importants : d’abord celui de centraliser les activités autour du go en France pour les joueurs, ensuite celui de promouvoir le jeu, faire connaître le jeu auprès du grand public auprès des non-initiés.


Quel est l'état du Jeu de Go en France notamment sa notoriété et sa pratique par le grand public ?

 

Au Japon, si l’on demande à quelqu’un dans la rue, il saura ce que c’est que le go, même s’il risque de dire à tort : « ah, c’est le jeu qui ressemble à l’othello ? ». Il y a des émissions télé sur le jeu, chaque journal possède une rubrique consacrée au go, il fait partie de la vie quotidienne. En France, ce n’est pas tout à fait pareil. « Je suis un professeur de jeu de go » « De judo ? Ah non, je me suis bien dit que vous n’étiez pas baraqué ! Le go ? Ca, ça me dit rien » Il m’arrive souvent d’avoir ce genre de conversation. Le jeu de go, même s’il a fait son entrée dans les dictionnaires français depuis longtemps, qu’il est souvent utilisé dans les mots croisés, reste encore confidentiel. Il reste à ce niveau-là beaucoup de choses à faire.


Quelles différences notez-vous entre la France et le Japon sur la perception que peut avoir le jeu de Go ?

 

Au Japon, le jeu de go appartient à la catégorie de la « culture traditionnelle » plutôt qu’à celle de « jeux » : il a gagné ses lettres de noblesse depuis l’antiquité. Alors qu’en France, ce n’est qu’un simple jeu qui vient d’Asie. Cela change forcément son image. Si un enfant se met à apprendre le go au Japon, les parents se réjouiront (à moins qu’il ne devienne dépendant comme moi !). Mais en France, cela ne doit pas être si évident.

 

En France comme au Japon un manga aura marqué l'esprit du grand public : Hikaru No Go. Quel impact a-t-il pu avoir ?

Son impact était énorme. Il a fait connaître le jeu au grand public et notamment aux jeunes. En France, le nombre de jeunes joueurs a sensiblement augmenté et aujourd’hui, nous avons beaucoup de bons joueurs issus de cette génération. Sur un serveur internet de go, combien de pseudos commencent par « hikaru » « akira » ou encore « sai » ? Même si la série est terminée aujourd’hui, son influence est encore palpable.


En tant que professionnel du jeu de Go quel regard portez-vous à cette œuvre ?

Je l’admire pour son réalisme... il faut dire que le manga est extrêmement bien documenté... et par son sens pédagogique vis-à-vis des non-initiés. Je me rappelle que quand il a été publié dans la revue Jump, nous les joueurs de go nous nous disons : « comment un manga sur le go pourrait-il marcher ? » Mais ils ont relevé leur défi, c’est extraordinaire.


Pour conclure, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans le jeu de go ?

Le jeu de go vous ouvrira à plein de choses : c’est d’abord un très bon jeu de réflexion, qui permet d’exploiter votre matière grise. Ensuite, l’un des « quatre arts des lettrés » depuis milliers d’années, ce jeu est un bon outil pour connaître la culture asiatique. Enfin, c’est un outil de communication, comme l’indique un des surnoms du jeu de go « dialogue par les mains ». Il nous permet de communiquer là où le dialogue est normalement impossible. Bref, si vous voulez enrichir un peu votre vie, lancez-vous !

 


© Interview réalisée par E-mail - Kochipan (Janvier 2013)


Un grand merci à Motoki Noguchi pour avoir accepté cette interview ainsi que pour son accueil

 

Site de la Fédération française de Go

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